jeudi 14 juillet 2011

La conscience d'un démocrate

Paul Krugman (2007)
The Conscience of a Liberal


Paul Krugman (2008)
L'Amérique que nous voulons
Flammarion


Krugman, prix Nobel d’économie en 2008, offre avec L’Amérique que nous voulons, une magistrale description de la dynamique des inégalités sociales aux Etats-Unis tout au long du vingtième siècle (en s’appuyant notamment sur les travaux de Piketty et Saez), une dynamique qu’il relie étroitement aux avancées et reculs successifs de l’Etat-providence…


Les inégalités de revenus, extrêmes au début du siècle, se sont fortement réduites suite au New Deal rooseveltien et à l’instauration d’une économie de guerre. Cette réduction par le haut des inégalités, que Krugman appelle la Grande compression  (The Great Compression) et qui joua à plein régime dans les années quarante et cinquante, tient en particulier en la création d’une Caisse de retraite publique et d’une assurance chômage, au développement du mouvement syndicaliste favorisant les hausses salariales et à un impôt sur le revenu sévère avec les riches. Ces diverses institutions, héritées du New Deal, ont non seulement permis l’émergence d’une véritable société  de classe moyenne, mais également sa perpétuation. Les inégalités se sont réduites et cette réduction s’est maintenue sur plusieurs décennies.

Les années soixante dix apparaissent comme une décennie de rupture, marquant le début d’une intensification croissante des inégalités. L’Américain médian n’observe depuis lors plus aucune réelle amélioration de ses conditions de vie. Et même si les Etats-Unis ont connu une période de forte croissance à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, les fruits de cette croissance n’ont été distribués qu’à une infime minorité de la population, en particulier les élites du milieu financier. Comme la Grande Dépression (la crise des années trente), la Grande Récession (la crise qu’affronte actuellement l’économie mondiale) prend sa source dans une Amérique où les inégalités sont fortes et croissantes. Privée d’une réelle amélioration de leurs revenus, les familles de la classe moyenne sont conduites à recourir toujours davantage à l’endettement, en particulier pour le logement. L’implantation dans les quartiers où se situent les bonnes écoles s’avère pour elles une question cruciale. En effet, la mobilité sociale américaine n’est qu’une illusion, une fiction : l’appartenance à une catégorie sociale pèse bien plus sur la trajectoire d’un individu que son propre talent. Un enfant peut définitivement voir ses chances d’ascension sociale ruinée par un mauvais départ. L’affaiblissement des classes moyennes conduit à une mise en concurrence généralisée des individus et à d’obsessionnelles stratégies spatiales. La confiance sociale se dissout ainsi dans l’inégalité économique et le lien sociale se distend.

Cette évolution des revenus (contraction, puis expansion des inégalités) est avant tout due à des changements institutionnels et à l’évolution des normes sociales, et non à des facteurs proprement économiques (les forces du marché) ou « exogènes » tels que l’immigration ou le progrès technique. Krugman met en lumière le lien entre l’évolution des inégalités et l’évolution du monde politique. Le New Deal a permis une formidable redistribution des richesses, source d’une croissance durable et d’une élévation générale des conditions de vie de la population, mais au détriment des hauts revenus. En réaction, la droite républicaine a vu progresser en son sein un courant que Krugman nomme conservatisme de mouvement et dont Reagan sera le premier représentant présidentiel. L’action de ces néoconservateurs, une fois à la tête du pouvoir politique, consistera purement et simplement à démanteler un à un les dispositifs institutionnels issus du New Deal et à faire refluer le mouvement syndicaliste, c’est-à-dire finalement à effacer les conditions mêmes de la Grande Compression.
 


La remontée des inégalités depuis les années soixante-dix a donc été provoquée par le virage à droite de la vie politique, mais la relation de cause à effet s’observe également dans l’autre sens : les riches financent puissamment les institutions et campagnes du conservatisme de mouvement, offrant à ce dernier de puissants moyens pour accéder aux instances de pouvoir (et tous les moyens sont bons pour assurer cet accession au pouvoir, même frauduleux). Le discours néoconservateur s’abreuve des théories de l’offre, discrédite l’action publique ou exploite les tensions raciales, en promouvant la discrimination raciale. Cette question raciale prend par ailleurs une place majeure dans l’argumentation de Krugman, au point que ce dernier attribue l’inexistence d’un véritable Etat-providence américain à l’importance des tensions interraciales. Krugman se montre toutefois optimiste pour l’avenir : la société américaine connaît actuellement un bouleversement des valeurs favorable à l’élection de démocrates, avec le recul de l’intolérance et du racisme.

L’environnement sociopolitique serait donc peu à peu redevenu ces dernières années favorable, pour cette raison et pour d’autres, aux victoires démocrates (une affirmation vérifiée par l’élection d’Obama, suite à l’édition du livre). Il est de nouveau concevable d’inverser la tendance à l’accroissement des inégalités en restaurant les mécanismes institutionnels du New Deal érodés par les républicains. Mais surtout, il est désormais envisageable de poursuivre l’ouvrage inachevé du New Deal en mettant notamment en place une assurance maladie universelle et en relevant le salaire minimum. Le pivot central du new New Deal qu’envisage Krugman est bel et bien l’extension de la garantie des soins à l’ensemble des citoyens américains, indépendamment de leurs revenus. La réforme de l’assurance santé, présage d’un retour de l’Etat-providence, a été maintes fois repoussée (avec notamment les échecs de Nixon et Clinton). Krugman égratigne le fonctionnement actuel du système hospitalier américain et surtout des assurances privées, jugées inefficaces et engendrant d’excessifs coûts de gestion. Il dissèque ensuite la résistance (de la part des assureurs privés et des néoconservateurs) que rencontre toute éventuelle réforme du système de santé, cette résistance à laquelle Obama s’est retrouvé durement confronté il y a quelques mois.



Paul Krugman, démocrate convaincu, offre avec L’Amérique que nous voulons un formidable plaidoyer pour l’intervention de l’Etat dans l’espace social, un véritable manifeste pour le développement de l’Etat-providence aux Etats-Unis. Publié en 2007, avant les élections américaines, ce livre offre une justification a priori aux politiques sociales menées par Obama. Krugman est toutefois devenu ces derniers mois extrêmement critique envers ce dernier, dont il juge le plan de relance insuffisant. L’impulsion budgétaire aurait dû être prolongée pour sortir rapidement l’économie américaine de la récession et la ramener au plein emploi. Les récents débats sur la soutenabilité des déficits publics, concernant aussi bien les Etats-Unis que les pays périphériques de la zone euro et reléguant au second plan la question du chômage, rendent toutefois de moins en moins probables de nouvelles mesures budgétaires allant dans ce sens…

1 commentaire:

  1. Bravo pour ton blog. Et surtout de rien. Blogger, c'est l'avenir.


    Je t'embrasse, cher blogueur.

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